Flash ADict n°8

Leur janvier sent l’alcool

Véritable enjeu de santé publique, le Dry January a été importé en France depuis quelques années. Cette année, 24% des français affirmaient vouloir relever le défi. Si les participants y trouvent un intérêt direct en matière d’amélioration globale de leur santé, le bénéfice serait double, car ce défi leur permettrait aussi de repenser leur rapport à l’alcool et constituerait ainsi une porte d’entrée vers la réduction de leur consommation sur le long terme.

Sur internet, et notamment sur certains réseaux, le caractère humoristique et challenger de ce mois sans alcool semble être le leitmotiv mis en avant. À titre d’exemple, le prescripteur de tendances Topito a publié une vidéo sur la conduite (et l’échec) de ce défi tout en nous souhaitant du courage pour les derniers jours de janvier. On constate également que de nombreux alcooliers reprennent ce même ton dans leurs publicités ; on parle de défi et on partage des astuces pour la bonne réussite de ce mois sans alcool.

Nous nous sommes déjà intéressés l’année passée à la multiplication des substituts des boissons alcoolisées mis en place par les alcooliers. Nous parlons de substituts car, pour une grande partie, le nom et les codes sont repris, comme la bouteille, le goût, la couleur de la boisson… Leffe a, par exemple, diffusé une newsletter au mois de janvier qui illustre bien ce phénomène. À l’intérieur de cette dernière, on a le sentiment que tout est fait pour nous faire penser que la seule bonne manière de commencer l’année et survivre à l’épreuve de ce Dry January, c’est d’être “accompagné” par la marque, en consommant leurs produits sans alcool. Les déclinaisons y sont si nombreuses que nous allons forcément y trouver une bière à notre goût.

Par ce flash, nous souhaitons présenter et interroger la mise en scène de ce Dry January par les alcooliers, sur les réseaux sociaux et sur les sites internet à destination des jeunes. Selon nos différentes observations, les marques mobilisent différentes stratégies pour les toucher. La bière 0.0 nous a semblé être, une fois de plus, la grande « gagnante » dans le panel des boissons sans alcool.

Le « sain » revisité à toutes les sauces :

Sans surprise, le marketing instrumentalisant le Dry January 2022 s’est articulé autour de cette notion, déjà croisée par le passé. La solution proposée et attendue est – pour celles et ceux qui souhaitent arrêter ou réduire leur consommation – de remplacer les boissons alcoolisées par leurs déclinaisons 0.0. La communication de la part des marques met ainsi en avant les notions de fraîcheur, la faible teneur en calories, et comme nous l’avons vu, la fidélité gustative vis-à-vis de la bière originale.

Mais certains alcooliers vont plus loin pour convaincre. Si l’évocation du culinaire pour valoriser leurs produits est souvent utilisée par les marques, Heineken adopte une posture qui ne manque ni d’hardiesse et ni de contradictions, en associant sa bière sans alcool à une cuisine saine et équilibrée. “Exit la traditionnelle charcut’ fromage” nous dit la marque “ce soir, des poireaux rôtis, de la feta et une vinaigrette aux agrumes” ; en janvier, le plaisir se trouve dans les poireaux sauce vinaigrette. Cependant, pour rester fidèle à soi-même, on s’octroie tout de même une petite bière sans alcool. Indéniablement, l’ambition des alcooliers est donc de nous faire associer à leur boisson le sain des légumes de saison, ainsi qu’une cuisine plutôt gastronomique et travaillée. Les recettes de la marque sont notamment proposées à l’occasion du « C0.0l January », un nom qui nous pose d’ailleurs question vis-à-vis de la neutralité.

Quand les marques organisent des séjours pour les jeunes :

Cette année, plusieurs pratiques et contenus continuent d’interroger. Heineken semble prendre une place à part entière dans le séjour au ski de certains influenceurs. Outre la récurrence du logo  d’Heineken 0.0 sur leurs photos, la marque et la bière sont clairement citées à maintes reprises sur les contenus des influenceurs jeunes : “elle s’appelle 0.0, et franchement elle est très bonne + c’est un excellent substitut si vous êtes en dry january ou si vous voulez ralentir l’alcool », avance une influenceuse à plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Mais la marque ne s’arrête pas à une simple présence passive dans ce séjour entre amis, puisqu’elle organise des activités, toujours relayées sur Instagram. On retrouve ainsi un atelier de cuisine pour un  ”C0.0l Lunch”, ou encore un tour en montgolfière, dont certaines photos, similaires, semblent se retrouver sur la page officielle de la marque. En plus de toutes ces activités, les produits dérivés créés pour ce défi sont multiples : tabliers de cuisine, sac à dos, coussin, etc…. Au final, à la vue de toute cette visibilité, on a le sentiment que la subtilité en matière de placement de produit en a pris un coup. Nous n’en sommes plus à la bouteille posée sur la table de l’apéro et tournée de façon à bien voir le logo ; ici, la présence et l’utilisation de cette bouteille en devient presque caricaturale, tant sa volonté d’être centrale est forte, comme nous le montrent ces images (1; 2). Ce sentiment est par ailleurs relevé par le discours assez direct d’un influenceur participant au séjour : “plus sérieusement, j’ai été missionné par Heineken pour créer des images à la neige cette semaine.” Un aveu qui nous pose encore plus fortement question sur le partenariat / parrainage du séjour par la marque.

Par ailleurs, d’autres marques font le choix de s’associer et de créer des partenariats avec des testeurs pour présenter et promouvoir leurs déclinaisons sans alcool. C’est notamment le cas pour Brooklyn Brewery, via beertime, comme en témoignent plusieurs posts Instagram. Une fois encore, le discours autour de leurs produits sans alcool se réapproprie parfois le message sanitaire : “Quand l’abus d’alcool est dangereux sur les pistes, la Special Effect est l’alternative parfaite.”

Notre avis

Malheureusement, le Dry January semble devenir un outil dont les alcooliers se servent pour promouvoir leur consommation responsable”, ce message volontairement vague et flou, qui renvoie la responsabilité sur les individus et non plus sur les pratiques marketing des alcooliers. D’autre part, l’objectif des alcooliers pourrait bien être d’entretenir une consommation, certes responsable, mais surtout sur toute l’année… et partout…et tout le temps…

En effet, l’initiative de santé publique est finalement l’occasion pour eux d’insérer, plus ou moins subtilement, leurs déclinaisons sans alcool, en proposant des  nouveaux contextes de consommation : au travail, au sport, à la montagne, « à tout moment de la journée”. Cela étant, n’y a-t-il pas un problème dans ces tentatives d’associer leurs bières sans alcool avec ces contextes ? Quel est le but ? Faire oublier au consommateur jusqu’à l’existence de l’eau ? On imagine par ailleurs que, le reste de l’année, le consommateur verra plutôt des publicités pour ces marques, mais probablement pour la version alcoolisée. Ainsi, en dehors du Dry January, sous l’influence de cette publicité, nous craignons la pénétration de ces bières alcoolisées dans les différents contextes et dans les différents moments de la journée. Santé Publique France, comme beaucoup d’autres, nous le rappelle d’ailleurs : “habituer les jeunes au goût et aux marques des boissons sans alcool pourrait être un tremplin vers une consommation de boissons alcoolisées.” Ce questionnement nous semble également valable pour les contextes et le glissement sans alcool/alcool, à la vue de nos observations.

Bien sûr, nous nous doutions que certaines marques ne feraient pas l’impasse sur la manne que représente le marketing d’influence en matière d’impact auprès des jeunes. Cependant, nous avons été assez étonnés de voir le peu de subtilité quant à l’insertion de la boisson dans les séjours relayés par les influenceurs, notamment dans le séjour et le “chalet Heineken”. Cela pose encore une fois la question, en plus du parrainage par la marque, de la neutralité et des conséquences potentielles de ces placements de produits. Introduire une bière sans alcool au sein d’un séjour au ski entre amis, et rendre visible cette association sur les réseaux sociaux auprès de milliers de jeunes nous interroge comme le fait d’associer de la bière sans alcool aux contextes vus plus haut… Après tout, la notion de neutralité ne s’impose-t -elle pas aussi pour la publicité indirecte ?

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