Flash ADdict n°7

Le vin en canette fera-t-il « pshitt » chez les jeunes?

   Le vin, produit très apprécié et consommé abondamment par les français (1) , est reconnu depuis 2011 par l’UNESCO (2) comme faisant partie du patrimoine immatériel de l’humanité. Au cœur de cette consommation ritualisée par son « débouchonnage » et son déversement dans un verre à pied, la bouteille en verre matérialise la boisson et trône dans nos imaginaires et sur la table comme le symbole univoque du vin qu’elle contient, gage de l’élégance et de la préservation des propriétés gustatives du produit. Conserver autrement le vin a ainsi longtemps été considéré comme une idée saugrenue. Pourtant, dès les années 2000, on constate quelques tentatives de renversement de ce « paradigme œnologique », avec la naissance du vin en canette. Proposition d’abord jugée irrévérencieuse par les consommateurs mais aussi par de nombreux professionnels du domaine, la crise du covid, en engendrant l’augmentation des ventes alimentaires à emporter, a finalement entraîné une reconsidération de cette forme de packaging. En effet, on a pu observer ces dernières années que petites structures de production et grosses filiales de l’industrie alimentaire investissent et développent de plus en plus leurs activités autour de ce produit. Qu’importe leur taille, les objectifs de ces alcooliers paraissent similaires : désacraliser la consommation de vin, séduire de nouveaux consommateurs (les jeunes), tout en créant nouveaux contextes de consommation. La publication du prescripteur de tendance Néo en est l’illustration : « la cannette est faite pour déguster le vin, seul ou à deux, en promenade, en pique-nique ou à la plage ».

Notre avis

   Si selon l’enquête Ball réalisée par Norstat en 2021, les jeunes sont les premiers consommateurs de vin en canette (43% des millénials et 48 % de la génération Z déclarent boire ou envisager de boire du vin en canette contre 35% pour les individus ayant entre 45 ans et 55 ans), c’est en partie car ils sont la cible première de son marketing.

   Tout d’abord, on peut noter dans la communication réalisée par les marques la volonté de présenter le vin en canette comme une modalité de consommation éthique et responsable. Cela est particulièrement visible sur la page Instagram de la Robe du vin, qui centre par exemple la promotion de la collection « coq’licot » sur la recyclabilité de son packaging. En effet, on peut y constater ici la façon dont la communication faite sur le produit insiste sur « la dimension éco-friendly » de la canette en la présentant comme « respectueuse de l’environnement », afin de séduire les jeunes qui sont de plus en plus soucieux et préoccupés par cette problématique (3). D’autres exemples suivent cette veine, avec “Le star” dont la description précise clairement « Made in France, écologique, tendance ». Cela étant, le washing (4) n’est pas seulement écologique, il est aussi sanitaire. Cette autre publication de la Robe du vin illustre de quelles façons une partie de la communication autour du vin en canette semble mettre le concept de « consommation modérée » au cœur de son discours promotionnel. En contenant l’équivalent de deux verres de vin, la canette prétend être la garante d’une consommation à moindre risque, telle que cette dernière est définie par les organismes de santé publique (5). Cette construction du discours tend alors paradoxalement autant à responsabiliser les consommateurs qu’à les inciter à consommer. Le packaging de la canette, par sa composition autant que ses dimensions, permet donc une orientation du marketing sur la responsabilité politique, environnementale et sanitaire du produit tout en rendant flou le sens véritable des repères de consommation comme l’illustre ce post.

   D’autre part, le packaging de la canette a élargi la zone d’expression du marketing sur le produit. Alors que cette dernière est d’habitude restreinte à l’étiquette apposée sur la bouteille, avec le format canette, c’est l’ensemble du produit qui devient support de marketing. Les possibilités graphiques sont également démultipliées par la modernité du format qui s’affranchit en lui-même des codes traditionnels du vin. Une fois cette rupture assumée, on constate que les alcooliers n’hésitent pas à donner libre cours à leur imagination pour séduire les consommateurs les plus jeunes (plus familiers à ce contenant (6) et moins conservateurs sur les codes packaging du vin (7)) : serait-ce au dépend de l’obligation de neutralité qu’exige la loi Evin ? L’exemple « des vins des darons/daronnes » en canette, reprenant le vocabulaire et les systèmes de références culturelles des jeunes, illustre par exemple ce phénomène, mais nous nous posons également la question concernant d’autres exemples, comme  “Le star” ou “O joie”.

   Même si le vin en canette semble être une production de niche, le fait que les industriels de l’alimentaire diversifient leurs activités et investissent (8) sur ces produits nous alerte sur le potentiel développement de ces marketing et packaging auprès des jeunes. L’augmentation par exemple de 170% du chiffre d’affaires (9) du vin en canette cette dernière année, la plus forte accessibilité des produits en raison de leur prix (quelques euros), leur disponibilité en supermarché nous invitent donc à d’autant plus de vigilance vis-à-vis de ces produits déjà clairement visibles en rayons (leurs visuels font qu’ils dénotent à côté des bouteilles de vin).  Les jeunes étant le public cible visé par les producteurs de ces boissons, une question nous vient directement en tête : le vin en canette se retrouvera-t-il prochainement dans les mains des influenceurs ? Pour l’instant, nos premières observations nous laissent penser que ce moyen est encore peu utilisé par les marques : les influenceurs que nous suivons sur les réseaux dans le cadre de notre activité n’ont en effet rien publié de tel, mais il est possible que certains contenus échappent à notre radar, tant la sphère numérique est vaste. Cependant, nous restons prudents et à l’affût, car les producteurs de vin en canette pourraient être tentés de les mobiliser (dans la mesure où ils utilisent déjà avec succès les prescripteurs de tendance pour promouvoir leurs produits auprès des jeunes) avec un discours : « vous êtes jeunes, alors essayez le vin en canette »

 

(1). LAMA, Amandine et QUETIER-PARENT, Salomé. Observatoire européen de la consommation de vin bio, Enquête IPSOS/Millésim Bio, publiée le 13 décembre 2021.

(2). Inscription du vin sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO, 13ème législature. Question écrite n° 18803 de M. Roland Courteau (Aude – SOC) publiée dans le JO Sénat du 02/06/2011 – page 1421. Réponse du Ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire publiée dans le JO Sénat du 28/07/2011 – page 1981. Voir le site du Sénat.

(3). BRICE-MANSENCAL Lucie, HOIBIAN Sandra, KOSCHMIEDER Alina, « Environnement: les jeunes ont de fortes inquiétudes mais leurs comportements restent consuméristes », Consommation & modes de vie, N°308, enquête publiée en décembre 2019.

(4).Voir la définition du washing.

(5). Voir la définition des repères de consommation à moindre risque sur le site de Santé Publique France.

(6). LE BOULENGER, Sylvie. «La revanche de la canette», LSA conso, dossier publié le 17 novembre 2021.

(7). QUEFFEULOU Chloé. « Le vin en canette s’installe chez les jeunes français » ? Rayon Boissson, enquête publiée le 26 août 2021.

(8). Op cit. LE BOULENGER.

(9). Op cit. QUEFFEULOU.

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