Août 2019

Alcool et sport, contre ce mercato perpetuel

En début d’année, certains élus LR ont déposé une proposition de loi visant à déplafonner le maximum de (dix) dérogations annuelles accordées à un club sportif amateur pour vendre de l’alcool. Ainsi, un club de football aurait la possibilité d’en vendre à chaque évènement si celui-ci en faisait la demande.  

Courant juillet 2019, une centaine de députés, ceux-là issus de LREM, ont proposé d’étendre ces dix dérogations annuelles aux « sociétés sportives », c’est-à-dire aux clubs professionnels.

Plusieurs raisons sont avancées par les promoteurs de ces lois, l’une d’elle est la possibilité offerte aux clubs professionnels d’élargir leurs recettes, notamment via la vente d’alcool. Celle-ci peut en effet rapporter, par son ampleur, des bénéfices importants.

Par cette loi, les députés veulent également mettre fin à « l’hypocrisie » des espaces VIP et des loges, où l’alcool est consommé à chaque match. Ceux-ci bénéficient d’une dérogation permise par la licence restaurant que peut accorder aux clubs de football la direction régionale des douanes. Les conditions pour que les boissons soient vendues sont que celles-ci doivent être servies à l’occasion des principaux repas et comme accessoires de la nourriture.

Récemment, la ministre de la santé Agnès Buzyn a indiqué sa volonté de ne pas remettre en question l’interdiction de vente d’alcool dans les stades, tout en expliquant que « Le sport est un moment idéal pour faire la promotion de la santé, ce n’est pas à ce moment-là qu’on a envie de voir de l’alcoolisation aiguë voire de la violence ».

Notre avis

Certaines enceintes sportives restent indemnes vis-à-vis de la vente d’alcool. C’est ce marché potentiellement « juteux » que les grands groupes veulent toucher. Ils pourraient ainsi, en plus des petits évènements sportifs, s’insérer dans des grands rassemblements de supporters, comme le précise Bernard Basset (vice-président de l’ANPAA) : « On risque de passer à une phase industrielle avec des clubs professionnels riches. Et puisqu’il ne s’agit pas des petits clubs, tout va être fait pour que la consommation soit rentable et donc importante. » Nous imaginons ainsi aisément les alcooliers utilisant les « déssoiffeurs », ces vendeurs ambulants qui servent le spectateur sans que celui-ci ait besoin de venir à un point de vente.

Le lien entre l’augmentation des violences et la vente d’alcool est discuté. Certains y voient une possibilité de régulation de l’offre, en évitant ainsi les alcoolisations massives et rapides avant d’entrer dans le stade. D’autres précisent que « ce n’est de toute façon pas l’alcool qui crée le hooliganisme ou la violence. », malgré le fait qu’il soit un « facilitateur, un excitant ».  Notons toutefois que la FIFA s’était montrée « impressionnée » et « préoccupée » par la consommation d’alcool lors de la coupe du monde 2014, après avoir autorisé cette même vente. N’oublions également pas les débordements lors de la coupe d’Europe 2016 de la part de certains supporters anglais et russes, fortement alcoolisés.

Au-delà de ce potentiel lien, un des objectifs de la loi Evin était d’empêcher l’association entre l’alcool et le sport, celui-ci véhiculant des valeurs de convivialité, de positivité et de fête. La recherche a montré que la publicité pour de l’alcool dans les stades influençait les téléspectateurs, la question se pose quant à l’impact d’une vente sur les spectateurs. Par ailleurs, soulignons que lors de la coupe d’Europe 2016, les alcooliers ont fortement usé de cette association au travers de leur marketing, preuve de leur volonté que l’alcool soit omniprésent dans le contexte sportif.

Concernant « l’hypocrisie » relative aux différences entre les espaces VIP/loges et les tribunes, que certains députés dénoncent et proposent de corriger, nous posons la question, à l’instar d’Agnès Buzyn, si la piste n’était pas à aller chercher du côté de l’interdiction de consommation dans les espaces concernés. Face au contournement de la loi et son irrespect observé (par exemple dans le nombre de dérogation que s’octroient les clubs),  il ne nous semble pas logique de rendre autorisées toutes les pratiques « limites » [1] et non réglementaires de certains.

Il ne nous échappe pas que cet « assouplissement de la loi » [2] n’est pas si éloigné de la coupe du monde de rugby et des JO, qui se dérouleront tous les deux en France en 2023 et 2024. Les députés le disent eux même, la proposition de loi qui comprend entre autres cet article, vise à « faire de la France une nation sportive », comme si l’alcool était source de « dynamisme » sportif…

Même si les alcooliers n’ont pas encore réussi à rendre l’alcool omniprésent dans le contexte sportif, nous ne doutons pas de leur capacité à associer alcool et sport dans l’imaginaire des (jeunes) spectateurs, au travers de grandes campagnes marketing pendant les prochains évènements. En attendant, le cabinet du premier ministre a indiqué début septembre qu’il n’envisage pas la modification de « la réglementation en vigueur relative à l’interdiction de vente d’alcool dans les stades, telle qu’inscrite dans la loi Evin ».

[1] : Nous nous posons des questions quant au respect des conditions de consommation que permet la licence restaurant : l’alcool est-il vraiment servi uniquement comme accessoire du repas et pendant les heures de repas ?

[2] : Terme usité par l’ensemble des acteurs voulant modifier la loi pour la rendre moins efficace. Nous préférons le terme « affaiblir ».

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